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08/07/2015

"Voilà ce qu'évangéliser veut dire ! Voilà la nouvelle révolution, car notre foi est toujours révolutionnaire..."

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L'homélie du pape François à Quito hier (encore un texte bergoglien de première grandeur), devant un million de fidèles : 


 

Sainte Messe pour l'évangélisation des peuples

Homélie du Saint-Père

Parc Bicentenario, Quito, Equateur

mardi 7 juillet 2015

 

 

<< La parole de Dieu nous appelle à vivre dans l'unité, afin que le monde puisse croire. Je pense à ces mots murmurés par Jésus durant la Dernière Cène comme à plus qu'un cri : une clameur qui se lève de cette messe que nous célébrons dans le parc du Bicentenaire. Imaginons cela tous ensemble... Le bicentenaire que commémore ce parc est celui de la clameur pour l'indépendance de l'Amérique Latine. Cette clameur montait du fait d'avoir pris conscience d'un manque de liberté, d'une exploitation et d'une spoliation, d'être « sujet aux convenances contingentes des puissants du moment » (Evangelii Gaudium, 213) .

J'aimerais voir ces deux clameurs se joindre dans le magnifique défi de l'évangélisation. Nous n'évangélisons pas avec des grands mots ou des concepts compliqués, mais par la « joie de l'Evangile », qui « remplit les coeurs et les existences de tous ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui acceptent cette offre de salut sont libérés de la tristesse, du vide intérieur, de l'isolement, de la solitude de la conscience » (ibid., 1). Nous qui sommes réunis ici à la table de Jésus, nous sommes nous-mêmes une clameur, un cri né de la conviction que Sa présence nous mène à l'unité, « indiquant un horizon de beauté et offrant un banquet désirable » (ibid., 14).

« Père, qu'ils soient un... afin que le monde puisse croire. » Ce fut la prière de Jésus alors qu'Il levait ses yeux vers le ciel. Cette demande s'élève dans un contexte de mission : « Comme Tu m'as envoyé dans le monde, ainsi je les ai envoyés dans le monde... » C'est au moment où le Seigneur fait l'expérience, dans sa propre chair, du pire de ce monde : un monde que cependant Il aime tendrement. Connaissant très bien ses intrigues, sa fausseté et ses trahisons, Il ne s'en détourne pas, Il ne se plaint pas. Nous aussi, quotidiennement, nous rencontrons un monde déchiré de guerres et de violence. Il serait facile de penser que la division et la haine ne concernent que les luttes entre pays ou groupes sociaux. Elles sont plutôt la manifestation d'un « individualisme diffus » qui nous divise et nous dresse les uns contre les autres (cf. Evangelii Gaudium, 99), une manifestation de l'héritage du péché tapi dans le coeur des êtres humains, qui fait tant souffrir la société et toute la création. Mais c'est précisément dans ce monde troublé, avec ses formes d'égoïsme, que nous envoie Jésus ! Nous ne devons pas répondre avec nonchalance ; ni nous plaindre de n'avoir pas les ressources pour « faire le job » - ou de la dimension excessive du problème. Nous devons répondre en épousant la clameur de Jésus et en acceptant la grâce et le défi d'être les constructeurs de l'unité.

Force et conviction ne manquaient pas à cette clameur de liberté qui s'élevait il y a un peu plus de deux cents ans. Mais l'histoire nous dit qu'elle ne fit sa percée que lorsqu'eurent été mises de côté  les singularités personnelles, de même que le désir de pouvoir et l'inaptitude à prendre en considération d'autres mouvements de libération, différents voire opposés...

L'évangélisation peut être un chemin d'unification de nos espoirs, de nos soucis, de nos idéaux et même de nos visions utopiques. Nous le croyons et nous en faisons notre cri. « Tandis que dans notre monde, spécialement dans certains pays, réapparaissent certaines formes de guerre et de conflits, nous, les chrétiens, nous insistons sur la proposition de reconnaître l'autre, de soigner les blessures, de construire des ponts, de resserrer les relations et de nous aider à porter les fardeaux les uns des autres » (Evangelii Gaudium, 67). Le désir d'unité implique la délectable et gratifiante joie d'évangéliser, la conviction que nous avons un immense trésor à partager : un trésor qui grandit d'être partagé et qui devient toujours plus sensible aux besoins des autres (cf. ibid., 9). D'où la nécessité de travailler à l'inclusivité à tous niveaux, de lutter pour elle, d'éviter toutes les formes d'égocentrisme, de construire le dialogue et la communication, d'encourager la collaboration. Nous avons à donner nos coeurs à nos compagnons tout au long de la route, sans soupçons ni défiances. « Faire confiance aux autres est un art, parce que la paix est un art » (cf. ibid., 244). Notre unité peut difficilement rayonner si l'attachement de l'esprit aux biens de ce monde introduit parmi nous l'inimitié pour de futiles quêtes de pouvoir, de prestige, de plaisir ou de sécurité économique ! Et cela sur le dos des plus pauvres, des plus vulnérables, des exclus, ceux qui gardent tout de même leur dignité malgré ce qui la blesse chaque jour...

Une telle unité est déjà un acte missionnaire, « afin que le monde puisse croire ». L'évangélisation ne consiste pas faire du prosélytisme, car le prosélytisme est la caricature de l'évangélisation ; elle consiste plutôt à attirer par notre témoignage ceux qui sont éloignés, ce qui veut dire s'approcher humblement de ceux qui se sentent éloignés de Dieu et de l'Eglise, de ceux qui se sentent jugés et condamnés par d'autres qui se considèrent comme purs et parfaits... Nous avons à nous approcher de ceux qui sont craintifs ou indifférents, et à leur dire : « Le Seigneur, avec grand respect et amour, t'appelle toi aussi à faire partie de son peuple » (cf. Evangelii Gaudium, 113). Car notre Dieu nous respecte jusque dans notre humiliation et notre péché. Cet appel du Seigneur s'exprime avec humilité et respect dans le texte de l'Apocalypse : « Vois, je suis à la porte et je frappe ; veux-tu ouvrir la porte ? » Il n'use pas de la force, il ne brise pas la serrure, mais simplement il tire la sonnette, frappe doucement à la porte, et attend. Tel est notre Dieu !

La mission de l'Eglise comme sacrement du salut a aussi à voir avec son identité de peuple pèlerin, appelé à embrasser toutes les nations de la terre. Plus intense sera la communion entre nous, plus notre mission aura d'effet (cf. Jean-Paul II, Pastores Gregis, 22). Devenir une Eglise missionnaire exige d'entretenir constamment la communion, puisque la mission n'a rien d'un travail en solo... Nous avons aussi besoin de missionnaires à l'intérieur de l'Eglise, montrant qu'elle est « une mère, une maison accueillante, une école permanente de communion missionnaire » (cf. Document d'Aparecida, 370).

La prière de Jésus peut se réaliser parce qu'il nous a consacré. Il dit : « pour eux je me consacre moi-même, afin qu'ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité » (Jean 17,19). La vie spirituelle d'un évangélisateur naît de cette vérité profonde – qui ne doit pas être confondue avec de réconfortants exercices religieux (forme de spiritualité peut-être répandue)... Jésus nous consacre pour que nous puissions Le rencontrer, de personne à personne ; rencontre qui nous mène à notre tour à rencontrer les autres, à nous engager dans notre monde, et à développer une passion pour l'évangélisation (Evangelii Gaudium, 78).

L'intimité avec Dieu, incompréhensible en elle-même, se révèle par des images qui nous parlent de communion, de communication, de don de soi et d'amour. Pour cette raison, l'unité à laquelle Jésus nous appelle n'est pas uniformité mais « harmonie multiforme qui attire » (Evangelii Gaudium, 117). La richesse de nos différences, notre diversité qui devient unité chaque fois que nous commémorons le Jeudi Saint, nous rend vigilants devant toutes les tentations que suggèrent les propositions extrémistes apparentées aux schémas totalitaires, idéologiques ou sectaires. Ce qu'offre Jésus n'est pas un concept, c'est une proposition concrète : « Va et fais de même », dit-il à l'homme qui lui demandait : « qui est mon prochain ? » Ayant dit la parabole du Bon Samaritain, Jésus conclut : « va et fais de même »... Cette proposition de Jésus n'est pas non plus quelque chose que nous pourrions accommoder à notre façon, assortir de conditions en choisissant qui nous convient ou pas : la religiosité de « l'élite » ! Jésus prie pour que nous devenions tous membres de la grande famille dont Dieu est le Père, dans laquelle nous sommes tous frères et soeurs. Nul n'est exclus ; et il ne s'agit pas d'avoir les mêmes goûts, les mêmes préoccupations, les mêmes dons. Nous sommes frères et soeurs parce que Dieu nous a créés par amour et qu'll nous destine, purement de sa propre initiative, à être ses fils et filles (cf. Ephésiens 1,5). Nous sommes frères et soeurs parce que « Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils, criant “Abba ! Père!” (Galates 4,6). Nous sommes frères et soeurs parce que, rendus « justes » par le sang du Christ Jésus (cf ; Romains 5,9), nous sommes passés de la mort à la vie et rendus « cohéritiers » de la promesse (cf. Galates 3,26-29 ; Romains 8,17). C'est le salut que Dieu rend possible pour nous,et que l'Eglise proclame avec joie : être membres de ce « nous » qui mène au « nous » divin.

Notre cri, en ce lieu lié au cri originel pour la liberté de ce pays, fait écho à celui de saint Paul : « Malheur à moi si je n'annonce pas l'Evangile ! » (1Corinthiens 9,16). C'est un cri aussi urgent et pressant, aussi vibrant d'ardeur, que le fut le cri de l'indépendance. Frères et soeurs, ayez le même état d'esprit que le Christ : que chacun de vous soit le témoin d'une communion fraternelle qui rayonne en notre monde !

Et comme ce serait beau si tous pouvaient admirer combien nous prenons soin l'un de l'autre, comment nous nous aidons et nous encourageons l'un l'autre. Donner de nous-même établit une relation entre les personnes ; nous ne donnons pas « des choses », mais notre personne elle-même. Tout acte de don veut dire que nous nous donnons nous-même. « Donner de soi » signifie laisser prendre racine dans nos vies cet amour qui est le Saint Esprit de Dieu, et ouvrir nos coeurs à son pouvoir de création. Et donner de soi même dans les moments les plus difficiles, comme en ce Jeudi Saint du Seigneur, lorsqu'Il vit le complot que l'on avait tissé pour le trahir : mais Il se donna lui-même, pour nous, selon son plan de salut... Quand nous donnons de nous-même, nous découvrons notre identité véritable d'enfants de Dieu à l'image du Père, et, comme Lui, de donneurs de vie ; nous découvrons que nous sommes frères et soeurs de Jésus, de qui nous portons témoignage. Voilà ce qu'évangéliser veut dire ; voilà la nouvelle révolution – car notre foi est toujours révolutionnaire - ; voilà notre cri le plus profond et le plus persistant. >>

 

Traduction PP. 

pape françois